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Le Costa Concordia d'Alexander Ponomarev jette l'ancre dans le désert d'Agafay [Communiqué de presse]
Alexandre Ponomarev n'est pas un nouveau venu à Marrakech. On se souvient de l'hélicoptère planté en 2012 dans le jardin du théâtre royal lors de la précédente Biennale de Marrakech. Il fait à nouveau escale cette année, à La Pause, dans le désert d'Agafay, dans le cadre Off de la Biennale dont on sait qu'il ménage les plus belles surprises.
Alexandre Ponomarev est né en 1957 à Dniepropetrovsk, ville d'Ukraine, longtemps interdite aux étrangers dans l'ex Union Soviétique et dont le nom cliquette comme un moteur de vieux rafiot. Il est donc moitié ukrainien, moitié russe vit et travaille à Moscou et en France. Quand il porte un toast, c'est comme s'il aspirait une goulée d'air avant de plonger en apnée. Alexandre Ponomarev est un plongeur. Il a été sous-marinier dans la marine russe avant de s'engager dans la marine marchande qu'il a du quitter pour des raisons de santé. Mais même à terre on reste marin et Alexandre Ponomarev est indéfectiblement attaché au monde flottant qui lui dicte ses œuvres. Les navires lui suggèrent d'exceptionnelles installations, et notamment les épaves. Parmi celles-ci, celle du Costa Concordia lui inspire son œuvre la plus extraordinaire.
Il fallait être totalement déraisonnable pour ancrer ce navire dans un lieu aussi improbable que le désert d'Agafay. Mais Alexandre Ponomarev est déraisonnable. Michel Foucauld, qui s'y connaissait en folie, a dit de la raison qu'elle "appartient à la terre ferme et que la déraison est aquatique depuis le fond des temps. L'île ou le continent repousse l’eau avec un entêtement massif et ne lui concède que leur sable." Echouer un bateau sur un récif est chose plutôt simple mais en plein désert, au sud de Marrakech, c'est un défi et Alexandre Ponomarev est familier des défis. N'a-t-il pas déjà redonné vie à des bateaux abandonnés (Ressusciter les navires, mer Baltique, 1995), fait émerger un sous-marin jaune dans le bassin des tuileries (Au jardin de la meute des loups, 2006) puis dans la lagune vénitienne (Subtiziano, 2009), fait disparaître une île de la mer de Barents (Maya, l'île perdue, 2000) ? N'a-t-il pas rêvé "d'escadres d'objets d'art faisant surface subitement dans les zones d'instabilité artistiques" (Recycler la meute, Méditerranée, 2000-2003). Rien d'impossible à cet artiste hors normes. Il y a quelque chose en lui de Noé construisant l'Arche.
Le 13 janvier 2012, le Costa Concordia naviguait donc au large de l'ile de Giglio, en Italie dont l'un des capitaines de la compagnie était originaire. Il était devenu habituel de s'approcher des côtes pour en saluer les habitants. C'est une manœuvre risquée lorsqu'on accuse huit mètres de tirant d'eau. Ce jour là, la carène fut éventrée par un récif, l'eau s'engouffra dans la coque et le navire s'échoua. Le capitaine, montrant ainsi qu'il avait le caractère bien trempé, fut le premier à quitter le navire.
Pour un ex-marin, sous-marinier de surcroît, c'était une infamie. Dans la communauté des gens de mer, il y a des règles. Elles exigent d'un commandant qu'il veille à l'évacuation de ses passagers avant de songer à sa survie. Les exemples contraires sont hélas nombreux. Qu'on se souvienne du naufrage de la Méduse, immortalisé par le peintre Géricault, de celui du SS Dejddah avec ses pélerins musulmans en route vers La Mecque et dont Joseph Conrad s'inspirera pour écrire Lord Jim, du SS Sirio. Parfois le capitaine est condamné à rester avec son équipage. Qu'on songe au sous-marin russe, le Koursk, englouti après l'explosion d'une torpille avec tout son équipage dont la lente asphyxie a fait frémir rétrospectivement l'ex sous-marinier.
Le Costa Concordia promettait tous les plaisirs. Costa Croisière, avait vu grand : restaurants, bars, piscines, cinéma, théâtre, casino. Un paradis flottant. Mais les pêcheurs bretons, qui s'y connaissent en caprices maritimes, l'affirment : " Qui va en mer pour son plaisir, ira en enfer pour passer le temps." On dénombra 32 morts.
Aujourd'hui renfloué, le Costa Concordia a levé l'ancre pour une nouvelle croisière. Destination : le désert d'Agafay, transformé en chantier naval. La construction tient autant du modèle original reproduite à l'échelle 1/5 que du Kon-Tiki de Thor Heyerdahl pour sa carène de roseaux. L'évènement est immense. Il mesure 60 mètres de long. Le pont supérieur culmine à 15 mètres de hauteur. Plus habitués aux constructions de terre, les artisans mobilisés ont souvent été pris de vertige. Le bulbe d'étrave et l'étambot débordent largement le sommet de la colline sur laquelle est posée la coque. L'hélice ne fouette que l'air. Pris dans sa gangue ménirale, il n'y a aucune chance que le navire se dégage du banc rocheux où il est échoué. Le naufrage est bien là, manifeste, total. Quelque soit le destin de cette installation, elle restera inscrite dans la mémoire des lieux et le Costa Concordia longtemps continuera d'errer, vaisseau fantôme, dans les sables d'Agafay.
Alexandre Ponomarev est un tourmenté. Marin, il n'accuse pas la mer dont il connait les surprises. Son propos est ailleurs. Comme celle de Joseph Conrad, qui lui aussi fut marin, son œuvre nous plonge au cœur des ténèbres humaines. Ce sont les spectres de la conscience humaine que l'installation draine avec elle dans la cale sèche d'Agafay. Tout en reconnaissant avoir quitté le navire avant la fin de l'évacuation, le capitaine du Costa Concordia a repoussé sa culpabilité en invoquant le professionnalisme avec lequel il avait échoué le navire pour l'empêcher de sombrer. Refusant d'admettre sa propre imprudence, il avait également commencé par affirmer qu'il avait heurté un éperon rocheux inconnu des cartes nautiques. Sa mauvaise foi bien plus que sa lâcheté est révoltante. Peu importe celle-ci, c'est celle-là qui fait de lui un salaud. En cela, l'œuvre a une dimension sartrienne. Alexandre PONOMAREV la dresse dans le désert, comme un monument dédié au mépris et au cynisme humain. Ce dont nous parle cette épave, c'est de notre sociabilité et de ses égarements, c'est de la fin spirituelle de notre société, sombrant dans les conséquences des calculs égoïstes et prosaïques, c'est du tragique destin humain dès lors que les valeurs de solidarité, de dignité et d'honneur sont bafouées, c'est de la dissolution de notre monde dans le mensonge et le simulacre.
Alexandre Ponomarev, lui, ne ment ni aux autres, ni à lui-même. Sa seule vérité est dans son geste artistique. Face au désastre, il choisit de dessiner sur le sable. Heureux ceux qui seront déroutés vers cet océan pierreux où git pour quelques semaines l'épave du Costa Concordia.
Vernissage: Mardi 27 février, 15h-19h Lieu: N31 26' O 08 10', Désert d'Agafay, Marrakech, 12 février 2014
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